Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/88

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mille patriarcale. Qu’en savez-vous ? Serait-ce la première fois que de beaux semblants d’honnêteté cacheraient les plus honteux secrets ? Pourquoi Madeleine m’a-t-elle un jour, tout à coup, défendu de songer à elle ? Pourquoi m’a-t-elle exilé, alors qu’elle souffre autant que moi de notre séparation, alors qu’elle m’aime encore, m’entendez-vous bien, qu’elle m’aime…, j’en suis sûr, j’en ai eu la preuve.

L’heure accordée à M. Bertomy pour un entretien avec son fils était écoulée, le geôlier vint l’en avertir.

Mille sentiments divers déchiraient le cœur de ce père infortuné, et lui ôtaient toute liberté de réflexion.

Si Prosper disait vrai, pourtant ! Quels ne seraient pas plus tard ses remords d’avoir ajouté à son malheur, déjà si grand ! Et qui prouvait qu’il ne disait pas vrai ?

La voix de ce fils dont, si longtemps, il avait été fier, avait réveillé en lui toutes les tendresses paternelles violemment comprimées. Eh ! fût-il coupable, et coupable d’un pire crime, en était-il moins son fils ?

Sa figure avait perdu toute sa sévérité, ses yeux étaient brillants de larmes près de s’échapper.

Il voulait sortir grave et irrité comme il était entré : il n’eut pas ce courage cruel. Son cœur se brisa, il ouvrit les bras et pressa Prosper contre sa poitrine.

— Ô mon fils ! murmurait-il en se retirant, puisses-tu avoir dit vrai !…

Prosper l’emportait, il avait presque convaincu son père de son innocence. Mais il n’eut pas le temps de se réjouir de cette victoire.

La porte de la cellule s’ouvrit presque aussitôt après s’être refermée et la voix du geôlier, comme la première fois, cria :

— Allons, monsieur, à l’instruction.

Il fallait obéir quand même, il obéit.

Mais sa démarche n’était plus celle des premiers jours, un changement complet venait de s’opérer en lui. Il allait le front haut, d’un pas assuré, et le feu de la résolution éclatait dans ses yeux.