Page:Gaboriau - Les Gens de bureau, Dentu, 1877.djvu/238

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tères. Le vent, quand on ouvre la porte avec violence, soulève des tourbillons comme le simoun dans le désert.

La caserne empeste le cuir, le crottin et le tabac ; la sacristie a l’odeur affadissante de la cire et des cierges éteints ; la gargote empoisonne le graillon, la viande et le vin ; l’air nauséabond de l’hôpital soulève l’estomac : eh bien ! les bureaux du ministère de l’Équilibre ont aussi leur odeur sui generis, odeur indescriptible et indéfinissable, où se mêlent et se confondent les plus horribles exhalaisons, l’eau qui cuit sur le poêle, la souris crevée entre deux dossiers, les débris en putréfaction des repas quotidiens oubliés dans les coins ; l’haleine fétide, la sueur des habits qu’on change, le cuir des souliers qui rissolent près du feu, enfin les effluves de toutes les misères, de toutes les corruptions et de toutes les infirmités des gens qui y vivent. Aux vapeurs de cet odieux alambic s’ajoute la fumée des lampes qu’on allume en plein jour, et l’on est surpris de voir une lumière brûler dans un pareil milieu.

L’étranger qui entre dans le bureau est saisi à la gorge ; il est frappé de vertige et chancelle comme le visiteur dans la grotte du Chien ; il suffoque et demande de l’air comme l’asphyxié. Mais qu’il se garde bien d’ouvrir la fenêtre ; les employés furieux la lui feraient refermer : une bouffée de brise les enrhume, et ils ne peuvent plus respirer dès qu’il y a de l’air.