Page:Gaboriau - Les Gens de bureau, Dentu, 1877.djvu/91

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pour vous. Diminuer les traitements et accroître le nombre des employés, c’est l’essence même de l’administration. Restreindre les places, malheureux ! Que feriez-vous des nullités, des déclassés, et des cousins des grands personnages ? C’est pour eux qu’on a créé le ministère de l’Équilibre, dont le besoin, croyez-moi, ne se faisait pas autrement sentir. Il y a, voyez vous, deux catégories d’employés : ceux que la prévoyance étroite de la famille y case au sortir du collége, parce qu’il faut bien qu’un jeune homme fasse quelque chose, et ceux dont la vocation ne se révèle que vers la trentième année, les fruits secs de toutes les carrières, les naufragés de toutes les tempêtes. À votre sens, de ces deux variétés du genre bureaucrate, quelle est celle qui se produit avec le plus d’avantages ?

— Oh ! dit Romain, si j’étais entré à dix-huit ans, je serais déjà sous-chef.

— Vous seriez probablement encore expéditionnaire, mon cher. On n’est pas jeune impunément. À vingt ans vous auriez évidemment donné plus d’un coup de canif dans le contrat qui vous lie à l’administration, vous auriez fait des écoles ; et lorsqu’à trente ans, riche d’expérience, l’ambition vous aurait saisi, un dossier accablant vous eût à tout jamais cloué au banc de votre galère.

Caldas ne put s’empêcher de sourire de l’emphase de son collègue à cheveux gris.