Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’anatomiste, étudiant le jeu d’un muscle, n’a pas l’attention passionnée de Lecoq observant l’attitude, le visage, le regard du meurtrier.

Quand son pied toucha le pavé verdâtre de la cour, il parut éprouver une sensation de bien-être ; il aspira l’air à pleins poumons, puis il se détira et se secoua violemment pour rendre l’élasticité à ses membres engourdis par l’exiguïté du compartiment du « panier à salade. »

Cela fait, il regarda autour de lui, et un sourire à peine saisissable monta à ses lèvres.

On eût juré que ce lieu ne lui était pas étranger, qu’il avait vu déjà ces hautes murailles noircies, ces fenêtres grillées, ces portes épaisses, ces verroux, tout cet appareil sinistre de la geôle.

— Mon Dieu !… pensa Lecoq ému, est-ce qu’il se reconnaît !…

L’inquiétude du jeune policier redoubla, quand il vit l’homme, sans une indication, sans un mot, sans un signe, se diriger vers une des cinq ou six portes qui ouvraient sur la cour.

Il allait droit à celle qu’il fallait prendre en effet, tout droit, sans une hésitation. Était-ce un hasard ?

Alors il devenait prodigieux, car le meurtrier ayant pénétré dans un couloir assez obscur, marcha droit devant lui, tourna à gauche, dépassa la salle des gardiens, laissa à droite le « parloir des singes » et entra dans le greffe.

Un vieux repris de justice, un « cheval de retour, » comme on dit rue de Jérusalem, n’eût pas fait mieux.

Lecoq sentait comme une sueur froide perler le long de son échine.