Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/158

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l’interrogatoire de telle sorte, que la veuve Chupin se trouvait naturellement amenée à entreprendre d’elle-même le récit des faits.

C’était un point capital. Des questions directes eussent peut-être éclairé cette vieille, si fine, qui gardait tout son sang-froid, et il importait qu’elle ne soupçonnât rien de ce que savait ou de ce qu’ignorait l’instruction.

En l’abandonnant à sa seule inspiration, on devait obtenir dans son intégrité la version qu’elle se proposait de substituer à la vérité.

Cette version, ni le juge, ni Lecoq n’en doutaient, devait avoir été concertée au poste de la place d’Italie, entre le meurtrier et le faux ivrogne, et transmise ensuite à la Chupin par ce hardi complice.

— Oh !… la chose est bien simple, mon bon monsieur, commença l’honnête cabaretière. Dimanche soir, j’étais seule au coin de mon feu, dans la salle basse de mon établissement, quand tout à coup la porte s’ouvre, et je vois entrer trois hommes et deux dames.

M. Segmuller et le jeune policier échangèrent un rapide regard. Le complice avait vu relever les empreintes, donc on n’essayait pas de contester la présence des deux femmes.

— Quelle heure était-il ? demanda le juge.

— Onze heures à peu près.

— Continuez.

— Sitôt assis, poursuivit la veuve, ces gens me commandent un saladier de vin à la française. Sans me vanter, je n’ai pas ma pareille pour préparer cette boisson. Naturellement, je les sers, et aussitôt après, comme j’a-