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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/168

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son œil. Il m’est prouvé qu’elle sait qui est ce Lacheneur, cet inconnu dont le soldat mourant voulait se venger, ce personnage mystérieux qui a, très-évidemment, la clef de cette énigme. C’est cet homme qu’il faudrait retrouver…

— Ah ! je le retrouverai, s’écria Lecoq, quand je devrais questionner les onze cent mille hommes qui se promènent dans Paris !

C’était beaucoup promettre, à ce point que le juge, en dépit de ses préoccupations, se laissa aller à rire.

— Si seulement, poursuivit Lecoq, si seulement cette vieille sorcière se décidait à parler à son prochain interrogatoire !…

— Oui ! mais elle ne parlera pas.

Le jeune policier hocha la tête. Tel était bien son avis. Il ne se faisait pas illusion ; il avait reconnu entre les sourcils de la veuve Chupin ces plis qui trahissent l’idiote obstination de la brute.

— Les femmes ne parlent jamais, reprit le juge, et quand elles semblent se résigner à des révélations, c’est qu’elles espèrent avoir trouvé un artifice qui égarera les investigations. L’évidence, du moins, écrase l’homme le plus entêté ; elle lui casse bras et jambes, il cesse de lutter, il avoue. La femme, elle, se moque de l’évidence. Lui montre-t-on la lumière, elle ferme les yeux et répond : « Il fait nuit. » Qu’on lui tourne la tête vers le soleil qui l’éblouit de ses rayons et l’aveugle, elle persiste et répète : « Il fait nuit. » Les hommes, selon la sphère sociale où ils sont nés, imaginent et combinent des systèmes de défense différents. Les femmes n’ont qu’un système, quelle que soit leur condition. Elles nient