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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/189

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L’attitude de ce meurtrier était inconcevable.

Son « compliment » anglais terminé, il restait au milieu du cabinet, la physionomie étonnée, moitié content, moitié inquiet, mais aussi à l’aise que s’il eût été sur les tréteaux où il disait avoir passé la moitié de sa vie.

Et, réunissant tout ce qu’il avait d’intelligence et de pénétration, le juge s’efforçait de saisir quelque chose, un indice, un tressaillement d’espoir, une contraction d’angoisse, sur ce masque plus énigmatique en sa mobilité que la face de bronze des sphynx.

Jusqu’alors, M. Segmuller avait le dessous.

Il est vrai qu’il n’avait point encore attaqué sérieusement. Il n’avait utilisé aucune des armes que lui avait forgées Lecoq.

Mais le dépit le gagnait, il fut aisé de le voir, à la façon brusque dont il releva la tête au bout d’un moment.

— Je le reconnais, dit-il au prévenu, vous parlez couramment les trois grandes langues de l’Europe. C’est un rare talent.

Le meurtrier s’inclina, un sourire orgueilleux aux lèvres.

— Mais cela n’établit pas votre identité, continua le juge. Avez-vous des répondants à Paris ?… Pouvez-vous indiquer une personne honorable qui garantisse votre individualité ?

— Eh !… monsieur, il y a seize ans que j’ai quitté la France et que je vis sur les grands chemins et dans les foires…

— N’insistez pas, la prévention ne saurait se contenter