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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/194

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qu’il en est sûr et que même j’ai une fausse barbe. Là-dessus, il m’empoigne la barbe et la tire. Il me fait mal, je me dresse, et v’lan, d’un coup de tampon je l’envoie à terre. Malheur !… Voilà les autres sur moi… J’avais mon revolver… vous savez le reste.

— Et les deux femmes, pendant ce temps, que faisaient-elles ?…

— Ah !… j’avais trop d’ouvrage pour m’en occuper !… Elles ont filé.

— Mais vous les avez vues en arrivant… Comment étaient-elles ?…

— C’étaient, ma foi !… deux laides mâtines, taillées comme des carabiniers et noires comme des taupes !…

Entre le mensonge plausible et la vérité improbable, la justice, institution humaine, c’est-à-dire sujette à l’erreur, doit opter pour la vraisemblance.

Depuis une heure, cependant, M. Segmuller faisait précisément le contraire. Aussi n’était-il pas sans inquiétudes.

Mais ses derniers doutes se dissipèrent comme un brouillard au soleil, quand le prévenu déclara que les deux femmes étaient grandes et « noires. »

Selon lui, cette audacieuse assertion démontrait la cordiale entente du meurtrier et de la Chupin. Elle trahissait un roman imaginé pour égarer l’enquête.

Il en concluait que, sous ces apparences si habilement accumulées, existaient des faits d’autant plus graves qu’on prenait plus de peine pour les dérober à toute appréciation.

Si l’homme eût dit : « Les femmes étaient blondes, » M. Segmuller n’eût plus su que croire.