Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/209

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— Cette circonstance ne serait rien, dit-il vivement, si elle n’était l’anneau d’une longue chaîne…

— Silence, monsieur l’agent, interrompit le juge.

Et se retournant vers le prévenu :

— La justice, poursuivit-il, n’utilise les charges recueillies par la police qu’après les avoir contrôlées et évaluées.

— N’importe !…, murmura l’homme, je voudrais bien voir ce cocher.

— Soyez sans crainte, il répétera sa déposition en votre présence.

— Eh bien !… je serai content alors. Je lui demanderai comment il s’y prend pour dévisager les gens, quand il fait noir comme dans un four. Sans doute, ce beau donneur de signalements est de la race des chats, qui y voient mieux la nuit que le jour.

Il s’interrompit et se frappa le front, éclairé en apparence, par une inspiration soudaine.

— Suis-je assez bête !… s’écria-t-il, je me fais de la bile au sujet de ces femmes pendant que vous savez qui elles sont. Car vous le savez, n’est-ce pas, monsieur, puisque le cocher les a ramenées à leur domicile ?

M. Segmuller se sentit deviné. Il vit que le prévenu s’efforçait d’épaissir les ténèbres précisément sur le point que la prévention avait tant d’intérêt à éclairer ?

Comédien incomparable, l’homme avait prononcé cette phrase avec l’accent de la plus sincère candeur. Mais l’ironie était sensible, et s’il raillait, c’est qu’il savait n’avoir rien à redouter de ce côté.

— Si vous êtes conséquent, reprit le juge, vous niez aussi l’assistance d’un complice, d’un… camarade.