Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/212

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cile que vous jouez avec une désolante perfection, un homme supérieur, un homme doué des plus rares facultés…

Lecoq vit bien que ce brusque changement déroutait le meurtrier.

Il essaya de rire : le rire expira dans sa gorge, lugubre comme un sanglot, et deux larmes jaillirent de ses yeux.

— Je ne vous torturerai pas davantage, monsieur, continua le juge. Avec vous, d’ailleurs, sur le terrain des questions subtiles, je serais battu, je l’avoue en toute modestie. Quand je reviendrai à la charge, c’est que j’aurai en mains assez de preuves pour vous en écraser…

Il se recueillit ; puis, lentement et en appuyant sur chaque mot, il ajouta :

— Seulement, n’attendez plus alors de moi les égards que je vous accorderais si volontiers en ce moment. La justice est humaine, monsieur, c’est-à-dire indulgente pour certains crimes. Elle a mesuré la profondeur des abîmes où peut rouler l’honnête homme que la passion égare. Tous les ménagements qui ne seraient pas contre mes devoirs, je vous les promets… Parlez, monsieur… Dois-je faire sortir l’agent de police que voici ? Voulez-vous que je charge mon greffier de quelque commission ?…

Il se tut.

Il attendait l’effet de ce dernier, de ce suprême effort.

Le meurtrier dardait sur lui un de ces regards qui s’efforcent de pénétrer jusqu’au fond de l’âme. Ses lèvres