Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/211

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sort. Mon trouble vous surprend, quand j’ai senti vingt fois le froid du couteau sur mon cou ! Tenez… je n’oserais pas souhaiter un tel supplice à mon plus cruel ennemi.

Il devait en effet souffrir atrocement, et on le voyait parce qu’il est de ces phénomènes physiques qui échappent à la plus robuste volonté. Ainsi, ses cheveux étaient trempés de sueur, et de grosses gouttes qu’il essuyait avec sa manche, roulaient par moments le long de son visage pâli.

— Je ne suis pas votre ennemi, dit doucement M. Segmuller, qui avait pris le mot pour lui. Un juge d’instruction n’est ni l’ami ni l’ennemi d’un prévenu, il n’est que l’ami de la vérité et des lois. Je ne cherche ni un innocent ni un coupable, je veux trouver ce qui est. Il faut que je sache qui vous êtes… et je le saurai.

— Eh !… je me tue à le dire : je suis Mai !

— Non.

— Qui donc serais-je alors ?… Un grand personnage déguisé ?… Ah ! je le voudrais bien. J’aurais de bons papiers, en ce cas, je vous les montrerais et vous me lâcheriez… car vous le savez bien, mon bon monsieur, je suis innocent comme vous…

Le juge avait quitté son bureau, et était venu s’adosser à la cheminée, à deux pas du prévenu.

— N’insistez pas, dit-il.

Et aussitôt, changeant de ton et de manières, il ajouta, avec l’urbanité parfaite d’un homme du monde s’adressant à un de ses pairs :

— Faites-moi l’honneur, monsieur, de me croire assez de perspicacité pour avoir su démêler, sous le rôle diffi-