Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/216

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Peu à peu, le juge d’instruction se remettait.

— Savez-vous, monsieur l’agent, dit-il, ce que prouvent vos justes réflexions ?

— J’écoute, monsieur.

— Eh bien, voici ma conclusion : Ou cet homme est véritablement Mai, « pour tourner le compliment, » comme il dit, où il appartient aux plus hautes sphères sociales. Pas de milieu. Ce n’est qu’aux derniers échelons, ou aux premiers de la société, qu’on rencontre la sombre énergie dont il a fait preuve, ce mépris de la vie, tant de présence d’esprit et de résolution. Un vulgaire bourgeois attiré à la Poivrière par quelque passion inavouable, eût tout avoué il y a longtemps, et réclamé la faveur de la pistole…

— Mais, monsieur, ce prévenu n’est pas le pitre Mai, dit le jeune policier.

— Non certes, répondit M. Segmuller ; c’est donc à vous à voir en quel sens doivent être dirigées les investigations.

Il sourit amicalement, et de sa meilleure voix ajouta :

— Était-il bien besoin de vous dire cela, monsieur Lecoq ?… Non, car à vous revient l’honneur d’avoir pénétré la fraude. Pour moi, je le confesse, si je n’eusse été averti, je serais en ce moment la dupe de ce grand artiste.

Le jeune policier s’inclina, le vermillon de la modestie sur les joues ; mais la vanité heureuse éclatait dans ses yeux plus brillants que des escarboucles.

Quelle différence entre ce juge expansif et bienveillant et l’autre, si taciturne et si hautain !