Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/215

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— Quel gredin !… s’écria-t-il, après avoir attendu vainement un mot du juge ou de l’agent de la sûreté ; quel scélérat !…

D’ordinaire, M. Segmuller accordait une certaine confiance à la vieille expérience de Goguet. Il lui était même arrivé de le consulter, un peu sans doute comme Molière consultait sa servante.

Mais cette fois, il ne pouvait accepter son opinion.

— Non, dit-il, d’un ton pensif, non, cet homme n’est pas un coquin. Quand je lui ai parlé si doucement, il a été réellement ému, il a pleuré. Il a hésité, je le jurerais, à me tout confier…

— Ah !… il est fort, approuva Lecoq, prodigieusement fort !…

L’éloge du jeune policier était sincère. Loin d’en vouloir à ce prévenu qui avait trompé ses calculs et qui même l’avait injurié, il l’admirait pour son habileté et son audace.

Il s’apprêtait à le combattre à outrance, il espérait le vaincre… N’importe ! il éprouvait pour lui cette secrète sympathie qu’inspire l’adversaire qu’on sent digne de soi.

— Quelle organisation, poursuivait Lecoq, quel sang-froid, quelle hardiesse !… Ah !… il n’y a pas à dire non, son système de dénégation absolue est un chef-d’œuvre ; il est complet, tout s’y tient. Et comme il a soutenu ce personnage impossible de pitre !… Oui, il y a eu des instants où je me suis tenu à quatre pour ne pas applaudir. Que seraient près de lui les comédiens vantés ?… Les plus grands acteurs, pour donner l’illusion, ont besoin de l’optique de la scène… Lui, à deux pas de moi, surprenait ma raison.