Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il envia le sort de ceux qui, ayant un état au bout des bras, peuvent entrer hardiment chez le premier patron venu et dire : Je voudrais de l’ouvrage.

Ceux-là travaillent et mangent.

Lui, demanda du pain à tous les métiers qui sont le lot des déclassés. Métiers ingrats !… Il y a cent mille déclassés à Paris.

N’importe !… Il fit preuve d’énergie. Il donna des leçons et copia des rôles pour un avoué. Un jour, il débuta dans la nouveauté ; le mois suivant, il allait proposer à domicile des rossignols de librairie. Il fut courtier d’annonces, maître d’études, dénicheur d’assurances, placier à la commission…

En dernier lieu, il avait obtenu un emploi près d’un astronome dont le nom est une autorité, le baron Moser. Il passait ses journées à remettre au net des calculs vertigineux, à raison de cent francs par mois.

Mais le découragement arrivait. Après cinq ans, il se trouvait au même point. Il était pris d’accès de rage quand il récapitulait les espérances avortées, les tentatives vaines, les affronts endurés.

Le passé avait été triste, le présent était presque intolérable, l’avenir menaçait d’être affreux.

Condamné à de perpétuelles privations, il essayait du moins d’échapper aux dégoûts de la réalité en se réfugiant dans le rêve.

Seul en son taudis, après un écœurant labeur, poigné par les mille convoitises de la jeunesse, il songeait aux moyens de s’enrichir d’un coup, du soir au lendemain.

Sur cette pente, son imagination devait aller loin. Il n’avait pas tardé à admettre les pires expédients.