Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/257

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Et ployant l’échine sous la bourrasque, il passa philosophiquement ses manches de lustrine noire, gagna sa petite table et parut s’absorber dans la taille de ses plumes et la préparation de son papier.

Au fond, il était vexé. La veille au soir, tout en causant, avec madame Goguet, de l’énigmatique prévenu, il lui était venu différentes idées qu’il n’eût pas été fâché de soumettre au juge.

L’occasion eût été mal choisie. M. Segmuller, le flegme personnifié d’ordinaire, l’homme par excellence grave, méthodique et tout en dedans, était devenu méconnaissable. Il se promenait de long en long dans son cabinet, se levait, s’asseyait, gesticulait, enfin paraissait ne pouvoir tenir en place.

— Décidément, se disait le greffier, l’écheveau ne se débrouille pas, les affaires de Mai vont très-bien !

En ce moment il en était ravi ; il se rangeait du côté du prévenu, tant sa rancune était grande.

De neuf heures et demie à dix heures, M. Segmuller ne sonna pas son huissier moins de cinq fois, et cinq fois, il lui adressa les mêmes questions :

— Êtes-vous sûr que M. Lecoq, l’agent du service de la sûreté, ne se soit pas présenté ?… Informez-vous… Il est impossible qu’il ne m’ait pas envoyé quelqu’un ; il doit m’avoir écrit.

Chaque fois, l’huissier surpris dut répondre :

— Personne n’est venu, il n’y a pas de lettre.

La colère gagnait le juge.

— Conçoit-on cela, murmurait-il, je suis sur des charbons ardents et cet agent se permet de se faire attendre… Où peut-il être allé ?…