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III


Autorisé par Gévrol à choisir l’agent qui resterait avec lui à la Poivrière, Lecoq s’était adressé à celui qu’il estimait le moins intelligent.

Ce n’était pas, de sa part, crainte d’avoir à partager les bénéfices d’un succès, mais nécessité de garder sous la main un aide dont il pût, à la rigueur, se faire obéir.

C’était un bonhomme de cinquante ans, qui, après un congé dans la cavalerie, était entré à la Préfecture.

Du modeste poste qu’il occupait, il avait vu se succéder bien des préfets, et on eût peuplé un bagne, rien qu’avec les malfaiteurs qu’il avait arrêtés de sa main.

Il n’en était ni plus fort ni plus zélé. Quand on lui donnait un ordre, il l’exécutait militairement, tel qu’il l’avait compris.

S’il l’avait mal compris, tant pis !

Il faisait son métier à l’aveugle, comme un vieux cheval tourne un manége.

Quand il avait un instant de liberté, et de l’argent, il buvait.

Il traversait la vie entre deux vins, sans toutefois dépasser jamais un certain état de demi lucidité.