Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/8

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Ce sobriquet caressait sa vanité, qui n’était pas médiocre, et ses subordonnés ne l’ignoraient pas.

Sans doute il pensait qu’il rejaillissait sur sa personne quelque chose de la considération attachée à ce grade.

— Si vous geignez déjà, reprit-il de sa grosse voix, que sera-ce tout à l’heure ?

Dans le fait, il n’y avait pas encore trop à se plaindre.

La petite troupe remontait alors la route de Choisy : les trottoirs étaient relativement propres, et les boutiques des marchands de vins suffisaient à éclairer la marche.

Car tous les débits étaient ouverts. Il n’est brouillard ni dégel capables de décourager les amis de la gaieté. Le carnaval de barrière se grisait dans les cabarets et se démenait dans les bals publics.

Des fenêtres ouvertes, s’échappaient alternativement des vociférations ou des bouffées de musiques enragées. Puis, c’était un ivrogne qui passait festonnant sur la chaussée, ou un masque crotté qui se glissait comme une ombre honteuse, le long des maisons.

Devant certains établissements, Gévrol commandait : halte ! Il sifflait d’une façon particulière, et presque aussitôt un homme sortait. C’était un agent arrivant à l’ordre. On écoutait son rapport et on passait.

Peu à peu, cependant, on approchait des fortifications. Les lumières se faisaient rares et il y avait de grands emplacements vides entre les maisons.

— Par file à gauche, garçons ! ordonna Gévrol ; nous allons rejoindre la route d’Ivry et nous couperons ensuite au plus court pour gagner la rue du Chevaleret.

De ce point, l’expédition devenait réellement pénible.