Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/95

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présumer, l’opinion de Devergie admise, que le dernier sentiment de leur existence avait été non la colère et la haine, mais la terreur…

— Ainsi, disait le vieux docteur, je suis autorisé à imaginer qu’ils ont dû être stupéfiés par quelque spectacle absolument imprévu, étrange, effrayant… Cette expression terrifiée que je leur vois, je ne l’ai surprise qu’une fois, sur les traits d’une brave femme, morte subitement du saisissement qu’elle éprouva en voyant entrer chez elle un de ses voisins qui s’était déguisé en fantôme, pour lui faire une bonne farce.

Ces explications du médecin, Lecoq les buvait, pour ainsi dire, et il cherchait à les ajuster aux vagues hypothèses qui surgissaient du fond de sa pensée.

Mais qui pouvaient être ces individus, accessibles à une telle peur ?

Garderaient-ils comme l’autre le secret de leur identité ?

Le premier que les docteurs examinèrent avait dépassé la cinquantaine. Ses cheveux étaient rares et blanchissaient ; toute sa barbe était rasée, à l’exception d’une grosse touffe rousse et rude qui s’épanouissait sous son menton très-proéminent.

Il était misérablement vêtu, d’un pantalon qui s’effiloquait sur des bottes lugubrement éculées, et d’une blouse de laine noire toute maculée.

Celui-là, le vieux docteur le déclara, avait été tué d’un coup de feu tiré à bout portant : la largeur de la plaie circulaire, l’absence de sang sur les bords, la peau rétractée, les chairs dénudées, noircies, brûlées, le démontraient avec une précision mathématique.