Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/106

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— Certes non ! répondit-il en riant. Qu’y ferais-je ? Le rôle des hommes d’action ne commence qu’après que les orateurs sont enroués…

Il dit cela si bien, on devinait, sous son ton plaisant, une énergie si forte, que Mlle de Courtomieu en fut toute saisie. Elle reconnaissait, pensait-elle, l’homme qui, selon son père, devait aller si loin.

Malheureusement, son admiration fut troublée par un coup frappé à la grosse cloche qui annonçait les visiteurs.

Elle tressaillit, lâcha le bras de Martial, et très-vivement :

— Ah !… n’importe, fit-elle, je voudrais bien savoir ce qui se dit là-haut… Si je le demande à mon père, il se moquera de ma curiosité… Tandis que vous, monsieur le marquis, si vous assistiez à la conférence, vous me diriez tout…

Un désir ainsi exprimé était un ordre. Le marquis de Sairmeuse s’inclina et obéit.

— Elle me congédie, se disait-il en montant l’escalier, rien n’est plus clair, et même, elle n’y met pas de façons… Mais pourquoi diable me congédie-t-elle ?

Pourquoi ?… C’est qu’un seul coup à la cloche annonçait une visite pour Mlle Blanche, qu’elle attendait « son amie, » et qu’elle ne voulait à aucun prix d’une rencontre de Martial et de Marie-Anne.

Elle n’aimait pas, et déjà les tourments de la jalousie la déchiraient… Telle était la logique de son caractère.

Ses pressentiments d’ailleurs ne l’avaient pas trompée. C’était bien Mlle Lacheneur qui l’attendait au salon.

La malheureuse jeune fille était plus pâle que de coutume, mais rien dans son attitude ne trahissait les affreuses tortures qu’elle subissait depuis deux jours.

Et sa voix, en demandant à son ancienne amie une liste de « pratiques, » était aussi calme et aussi naturelle qu’autrefois quand elle la priait de venir passer une après-midi à Sairmeuse.