Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/105

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« Je mentirais si je disais que je n’ai pas souffert de ce brusque changement… Mais j’ai du courage, je saurai me résigner. J’aurai, je l’espère, la force d’oublier, car il faut que j’oublie !… Le souvenir des félicités passées rendrait peut-être intolérables les misères présentes… »

Mlle de Courtomieu referma brusquement la lettre.

— Vous l’entendez, monsieur le marquis, dit-elle… concevez-vous cette fierté ? Et on nous accuse d’orgueil, nous autres filles de la noblesse !

Martial ne répondit pas. L’altération de sa voix l’eût trahi, il le sentit. Combien cependant, il eût été plus touché encore s’il lui eût été donné de lire les dernières lignes de la lettre.

« Il faut vivre, ma chère Blanche, ajoutait Marie-Anne, et je n’éprouve aucune honte à vous demander de m’aider. Je travaille fort joliment, comme vous le savez, et je gagnerais ma vie à faire des broderies si je connaissais plus de monde… Je passerai aujourd’hui même à Courtomieu vous demander la liste des personnes chez lesquelles je pourrais me présenter en me recommandant de votre nom. »

Mais Mlle de Courtomieu s’était bien gardée de parler de cette requête si touchante. Elle avait tenté une épreuve, elle n’avait pas réussi : tant pis ! Elle se leva, et accepta le bras de Martial pour rentrer.

Elle semblait avoir oublié « son amie, » et elle babillait le plus gaiement du monde, quand, approchant du château, elle fut interrompue par un grand bruit de voix confuses montées à leur diapason le plus élevé.

C’était la discussion de l’Adresse au roi, qui s’agitait furieusement dans le cabinet de M. de Courtomieu. Mlle Blanche s’arrêta.

— J’abuse de votre bienveillance, monsieur le marquis, dit-elle, je vous étourdis de mes enfantillages, et vous voudriez sans doute être là-haut.