heures les chevaux de poste qui doivent le conduire à Sairmeuse. »
D’un commun mouvement tous les paysans qui avaient une montre la consultèrent.
— Et que vient-il chercher ici ? demanda le jeune métayer.
— Pardienne !… il ne me l’a pas dit, répondit le maraudeur ; mais il n’y a pas besoin d’être malin pour le deviner. Il vient visiter ses anciens domaines et les reprendre à ceux qui les ont achetés. À toi, Rousselet, il réclamera les prés de l’Oiselle qui donnent toujours deux coupes ; à vous, père Gauchais, les pièces de terre de la Croix-Brûlée ; à vous, Chanlouineau les vignes de la Borderie…
Chanlouineau, c’était ce beau gars qui deux fois déjà avait interrompu le père Chupin.
— Nous réclamer la Borderie !… s’écria-t-il avec une violence inouïe, qu’il s’en avise… et nous verrons. C’était un terrain maudit, quand mon père l’a acheté, il n’y poussait que des ajoncs et une chèvre n’y eût pas trouvé sa pâture… Nous l’avons épierré pierre à pierre, nous avons usé nos ongles à gratter le gravier, nous l’avons engraissé de notre sueur, et on nous le reprendrait !… Ah !… on me tirerait avant ma dernière goutte de sang.
— Je ne dis pas, mais…
— Mais quoi ?… Est-ce notre faute à nous, si les nobles se sont sauvés à l’étranger ? Nous n’avons pas volé leurs biens, n’est-ce pas ? La nation les a mis en vente, nous les avons achetés et payés, nos actes sont en règle, la loi est pour nous.
— C’est vrai. Mais M. de Sairmeuse est le grand ami du roi…
Personne alors, sur la place de l’Église, ne s’occupait de ce jeune soldat dont la voix, l’instant d’avant, faisait vibrer les plus nobles sentiments.
La France envahie, l’ennemi menaçant, tout était oublié. Le tout-puissant instinct de la propriété avait parlé.