Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/12

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— M’est avis, reprit Chanlouineau, que nous ferions bien d’aller consulter M. le baron d’Escorval.

— Oui, oui !… s’écrièrent les paysans, allons !

Ils se mettaient en route, quand un homme du village même, qui lisait quelquefois les gazettes, les arrêta.

— Prenez garde à ce que vous allez faire, prononça-t-il. Ne savez-vous donc pas que depuis le retour des Bourbons, M. d’Escorval n’est plus rien ?… Fouché l’a couché sur ses listes de proscription, il est ici en exil et la police le surveille.

À cette seule objection, tout l’enthousiasme tomba.

— C’est pourtant vrai, murmurèrent plusieurs vieux, une visite à M. d’Escorval nous ferait, peut-être, bien du tort… Et d’ailleurs, quel conseil nous donnerait-il ?

Seul Chanlouineau avait oublié toute prudence.

— Qu’importe !… s’écria-t-il. Si M. d’Escorval n’a pas de conseil à nous donner, il peut toujours se mettre à notre tête et nous apprendre comment on résiste et comment on se défend.

Depuis un moment, le père Chupin étudiait d’un œil impassible ce grand déchaînement de colères. Au fond du cœur, il ressentait quelque chose de la monstrueuse satisfaction de l’incendiaire à la vue des flammes qu’il a allumées.

Peut-être avait-il déjà le pressentiment du rôle ignoble qu’il devait jouer quelques mois plus tard.

Mais, pour l’instant, satisfait de l’épreuve, il se posa en modérateur.

— Attendez donc, pour crier, qu’on vous écorche, prononça-t-il d’un ton ironique. Ne voyez-vous pas que j’ai tout mis au pis. Qui vous dit que le duc de Sairmeuse s’inquiétera de vous ? Qu’avez-vous de ses anciens domaines, entre vous tous ? Presque rien. Quelques landes, des pâtures et le coteau de la Borderie… Tout cela autrefois ne rapportait pas cinq cents pistoles par an…

— Ça, c’est vrai, approuva Chanlouineau, et si le revenu que vous dites a quadruplé, c’est que ces terres