Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/115

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lait beaucoup, et même il plaisantait… Cherchait-il à s’étourdir ?…

— Que ne pleure-t-il ! pensait Mme d’Escorval épouvantée, je ne craindrais pas tant, et je le consolerais…

Ce fut le dernier effort de Maurice, il regagna sa chambre, et quand sa mère, qui était venue à diverses reprises écouter à sa porte, se décida à entrer vers minuit, elle le trouva couché, balbutiant des phrases incohérentes…

Elle s’approcha… Il ne parut pas la reconnaître ni seulement la voir. Elle lui parla… Il ne sembla pas l’entendre. Il avait la face congestionnée, les lèvres sèches, et par moments il sortait de sa gorge comme un râle. Elle lui prit la main… Cette main était brûlante. Et cependant il grelottait, ses dents claquaient…

Un nuage passa devant les yeux de la pauvre femme, elle crut qu’elle allait se trouver mal ; mais elle dompta cette faiblesse et se traîna jusque sur le palier, où elle cria :

— Au secours !… mon fils se meurt !

D’un bond, M. d’Escorval fut à la chambre de Maurice. Il regarda, comprit et se précipita dehors en appelant son domestique d’une voix terrible.

— Attèle le cabriolet, lui ordonna-t-il, galope jusqu’à Montaignac et ramène un médecin… crève le cheval plutôt que de perdre une minute !…

Il y avait bien un « docteur » à Sairmeuse, mais c’était le plus borné des hommes. C’était un ancien chirurgien militaire, renvoyé de l’armée pour son incurable incapacité ; on le nommait Rublot. Il se soûlait, et quand il était ivre, il aimait à montrer une immense trousse pleine d’instruments effrayants, avec lesquels autrefois, sur les champs de bataille, il coupait, disait-il, les jambes comme des raves.

Les paysans le fuyaient comme la peste. Quand ils étaient malades, ils envoyaient quérir le curé. M. d’Escorval fit comme les paysans, après avoir calculé que le médecin ne pouvait arriver avant le jour