Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/130

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— Qui la veut pour maîtresse, n’est-ce pas ?… Oh ! dites le mot. Mais que m’importe !… Je suis sur de Marie-Anne et je méprise les propos des imbéciles.

M. d’Escorval frémit.

— En d’autres termes, dit-il d’un ton indigné, vous faites de l’honneur et de la réputation de votre fille les enjeux de la partie que vous engagez !…

C’en était trop. Toutes les passions furieuses que Lacheneur comprimait éclatèrent à la fois ; il ne songea plus à se contenir.

— Eh bien ! oui !… s’écria-t-il avec un affreux blasphème, oui, vous l’avez dit : Marie-Anne doit être et sera l’instrument de mes projets… Ah ! c’est ainsi. L’homme qui est où j’en suis ne s’arrête plus aux considérations qui retiennent les autres hommes. Fortune, amis, famille, la vie, l’honneur, j’ai d’avance tout sacrifié. Périsse la vertu de ma fille, périsse ma fille même, que m’importe ! pourvu que je réussisse…

Il était effrayant d’énergie et de fanatisme, ses poings crispés menaçaient d’invisibles ennemis, ses yeux s’injectaient de sang.

Le baron le saisit par le revers de sa redingote comme s’il eût craint qu’il ne lui échappât…

— Vous l’avouez donc, lui dit-il… Vous voulez vous venger des Sairmeuse et vous avez fait Chanlouineau votre complice.

Mais Lacheneur, d’un mouvement brusque, se dégagea.

— Je n’avoue rien, répliqua-t-il… Et cependant je veux vous rassurer…

Il leva la main comme pour prêter serment, et d’une voix solennelle :

— Devant Dieu qui m’entend, prononça-t-il ; sur tout ce que j’ai de sacré au monde, par la mémoire de ma sainte femme qui est en terre, je jure que je ne médite rien contre les Sairmeuse, que je n’ai jamais eu l’idée de toucher seulement un cheveu de leur tête… Je les ménage parce que j’ai absolument besoin d’eux. Ils m’aideront sans s’en douter.