Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/138

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elle l’avait troublé, elle en était sûre. Il lui semblait entendre encore le tremblement de sa voix, à quelques phrases qu’il avait murmurées à son oreille…

Mlle Blanche se rassurait à demi, quand le souvenir soudain d’une conversation surprise entre deux de ses parentes illumina les ténèbres où elle se débattait.

L’une de ces deux jeunes femmes racontait en pleurant que son mari, qu’elle adorait, avait une liaison avant son mariage, et qu’il ne l’avait pas rompue.

Épouse légitime, elle était entourée de soins et de respects ; on lui faisait la charité des apparences, mais l’autre avait la réalité, l’amour.

Cette pauvre femme ajoutait encore que cette situation la rendait la plus misérable des créatures, qu’elle se taisait pourtant et dévorait ses larmes en secret, redoutant, au premier mot de reproche, de voir son mari l’abandonner ou cesser de se contraindre…

Cette confidence, autrefois, avait fait rire Mlle Blanche, et l’avait indignée en même temps.

— Peut-on être lâche à ce point !… s’était-elle dit.

Maintenant, il lui fallait bien reconnaître qu’elle avait raisonné la passion comme un aveugle-né la lumière. Et elle se disait :

— Qui me garantit que Martial ne songe pas à se conduire comme le mari de ma parente ?…

Mais comme jadis, tout lui paraissait préférable à l’ignominie d’un partage.

— Il faudrait écarter Marie-Anne, pensait-elle, la supprimer… mais comment ?…

Il faisait jour depuis longtemps que Mlle Blanche délibérait encore, hésitant entre mille projets contradictoires et plus impraticables les uns que les autres.

Pour la rappeler à la réalité, il ne fallut rien moins que l’entrée de sa camériste, qui lui apportait un énorme bouquet de roses envoyé par Martial…

— Comment, mademoiselle ne s’est pas couchée !… fit cette fille surprise.