Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/137

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Qui lui avait enseigné cette politique de la coquetterie la plus raffinée ?… On dit que le couvent est un grand maître.

Mais ce qu’on ne lui avait pas appris, ce qu’elle ignorait, c’est que les plus habiles deviennent dupes de leurs mensonges ; c’est que les grandes comédiennes finissent toujours par verser de vraies larmes.

Elle le comprit un soir où une plaisanterie du duc de Sairmeuse lui révéla que Martial allait tous les jours chez Lacheneur.

Ce qu’elle ressentit alors ne pouvait se comparer au frémissement de jalousie, de colère plutôt, qui déjà l’avait agitée.

Ce fut une douleur aiguë, âpre, intolérable, la sensation d’une lame rougie déchirant ses chairs.

La première fois, tout en rêvant une vengeance, elle avait pu garder son sang-froid ; cette fois, non.

Pour ne pas se trahir, elle dut quitter le salon précipitamment. Elle courut s’enfermer dans sa chambre, et là éclata en sanglots.

— Ne m’aimerait-il donc pas ! murmurait-elle :

Cette pensée la glaçait, et elle, l’orgueilleuse héritière, pour la première fois elle douta de soi.

Elle songea que Martial était assez noble pour se moquer de la noblesse, trop riche pour ne pas mépriser l’argent, et qu’elle-même n’était sans doute ni si jolie ni si séduisante qu’elle le croyait et que le disaient ses flatteurs.

Elle pouvait n’être pas aimée… elle tremblait de ne l’être pas.

Tout cependant, dans la conduite de Martial, et Dieu sait avec quelle fidélité sa mémoire la lui rappelait depuis une semaine, tout était fait pour lui rendre quelque assurance.

Il ne s’était pas déclaré formellement, mais il était parfaitement clair qu’il lui faisait la cour. Ses façons avec elle étaient celles du plus respectueux et en même temps du plus épris des amants. À certains moments,