Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/140

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— Hier, mon enfant, répondit-il, le duc de Sairmeuse m’a formellement demandé ta main, et on n’attend que ta décision pour les démarches officielles… Ainsi, rassurez-vous, belle amoureuse, vous serez un jour duchesse.

Elle cacha son visage entre ses mains, pour dissimuler la rougeur que ce mot « amoureuse » faisait monter à son front. Ce mot jusqu’alors lui paraissait qualifier une monstrueuse faiblesse, indigne et inavouable.

— Tu sais bien ma décision, père, balbutia-t-elle d’une voix à peine distincte, il faut nous hâter…

Il recula, croyant avoir mal entendu.

— Nous hâter ? répéta-t-il.

— Oui, père, j’ai des craintes.

— Et lesquelles, bon Dieu ?…

— Je te les dirai quand je serai sûre, répondit-elle en s’échappant.

Certes, elle ne doutait pas, mais elle voulait voir de ses yeux, étant de ces âmes qui goûtent une âpre et affreuse jouissance à descendre tout au fond de leur malheur.

Aussi, dès qu’elle eut quitté son père, elle força tante Médie à s’habiller en toute hâte, et, sans un mot d’explication, elle la traîna au bois de la Rèche, à un endroit d’où elle apercevait la maison de Lacheneur.

C’était le jour où M. d’Escorval était venu demander une explication à son ancien ami. Elle le vit arriver d’abord, puis, peu après, arriva Martial…

On ne l’avait pas trompée… elle pouvait se retirer.

Mais non. Elle se condamnait à compter les secondes que Martial passerait près de Marie-Anne…

M. d’Escorval ne tarda pas à sortir, elle vit Martial s’élancer après lui et lui parler.

Elle respira… Sa visite n’avait pas duré une demi-heure, et sans doute il allait s’éloigner. Point. Après avoir salué le baron, il remonta la côte et rentra chez Lacheneur.

— Que faisons-nous ici ? demandait tante Médie.