Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh bien ?… cria Maurice.

Rien qu’à l’accent de cette question, M. d’Escorval se sentit deviné.

Dès lors, à quoi bon nier ?…

— Lacheneur a été sourd à mes remontrances et à mes prières, répondit-il d’un ton grave… Il ne te reste plus qu’à te soumettre, mon fils, sans arrière-pensée. Je ne te dirai pas que le temps emportera jusqu’au souvenir d’une douleur qui te semble en ce moment devoir être éternelle… tu ne me croirais pas. Mieux vaut te dire : tu es homme, montre-le par ton courage. Je te dirai encore : défends-toi de penser à Marie-Anne, comme le voyageur côtoyant un précipice se défend de songer au vertige…

— Vous avez vu Marie-Anne, mon père, vous lui avez parlé ?…

— Je l’ai trouvée plus inflexible que Lacheneur.

— Inflexibles !… ils me repoussent, et ils reçoivent peut-être Chanlouineau.

— Chanlouineau est devenu leur commensal…

— Mon Dieu !… Et Martial de Sairmeuse ?…

— Il vient chez eux familièrement, je l’y ai trouvé…

Chacune de ses réponses tombait comme un coup d’assommoir sur le front de Maurice, ce n’était que trop évident.

Mais M. d’Escorval s’était armé de l’impassible courage du chirurgien qui, ayant entrepris une périlleuse opération, ne lâche pas ses bistouris parce que le patient hurle et se tord sous le fer.

M. d’Escorval voulait éteindre dans le cœur de son fils la dernière lueur d’espoir.

— C’en est fait, répétait Maurice, M. Lacheneur a perdu la raison…

Le baron hocha la tête d’un air découragé.

— C’est ce que je pensais d’abord, murmura-t-il.

— Mais que dit-il, pour justifier sa conduite ; il doit dire quelque chose ?…

— Rien… il a su esquiver toute explication.