Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/147

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Mais la passion a parfois les éclairs de la double vue.

Ce que le baron taisait, Maurice le devina, et il se raccrocha à ce chétif espoir avec l’âpre ténacité du noyé, qui, au fond de l’eau, serre encore entre ses mains crispées la planche qui n’a pu le sauver.

S’il n’interrogea pas, c’est qu’il était bien persuadé qu’on ne lui dirait pas la vérité.

Seulement, dès ce moment, il guetta tout ce qui se passait dans la maison, servi par cette prodigieuse subtilité de sens que communique la fièvre.

Il était dans son lit, assoupi en apparence, mais pas un des mouvements du baron ne lui échappait.

Ainsi, il l’entendit passer ses bottes, demander son chapeau, et trier une canne parmi celles qui se trouvaient dans le vestibule. Il distingua le grincement des ferrures de la grille extérieure.

— Mon père sort, se dit-il.

Et si extrême que fût sa faiblesse, il réussit à se traîner jusqu’à la fenêtre, assez à temps pour reconnaître la justesse de ses conjectures.

— Si mon père sort, pensa-t-il encore, ce ne peut être que pour se rendre chez M. Lacheneur… donc il ne désespère pas tout à fait…

Un fauteuil était près de lui, il s’y laissa tomber, songeant qu’en guettant à la fenêtre le retour de son père, il connaîtrait sa destinée quelques secondes plus tôt.

Il la connut au bout de trois mortelles heures.

À la seule attitude de M. d’Escorval, il vit bien que tout, cette fois, était irrémissiblement perdu ; il en fut sûr, comme l’accusé qui a lu sur le visage morne des jurés le verdict fatal qu’ils vont prononcer.

Il eut besoin de toute son énergie pour regagner son lit, il se sentait mourir.

Mais bientôt il eut honte de cette faiblesse qu’il jugeait indigne. Il voulut savoir ce qui s’était passé, demander des détails.

Il sonna et dit au domestique qu’il souhaitait parler à son père. M. d’Escorval ne tarda pas à paraître.