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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/153

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— Ainsi donc, si un péril me menaçait, imminent, immense, au lieu de me prêter secours, vous m’abandonneriez ?… Vous vous cacheriez lâchement, en vous disant : « Qu’il périsse, pourvu que je sois sauvé ! » Parlez !… est-ce là véritablement ce que vous feriez ?…

Elle détourna la tête et ne répondit pas. Elle ne se sentait pas la force de mentir, et elle ne voulait pas dire : « J’agirais comme vous. »

Maintenant, elle s’en remettait à la décision de son père.

— Si je me rendais à vos prières, Maurice, dit M. Lacheneur, avant trois jours vous me maudiriez et vous nous perdriez par quelque éclat. Vous aimez Marie-Anne… saurez-vous voir d’un œil impassible sa position affreuse ? Songez qu’elle ne doit décourager absolument ni Chanlouineau, ni le marquis de Sairmeuse. Vous me regardez… Oh ! je le sais aussi bien que vous, c’est un rôle indigne que je lui impose, un rôle odieux où elle laissera ce qu’une jeune fille a de plus précieux en ce monde… sa réputation.

Maurice ne sourcilla pas.

— Soit ! prononça-t-il froidement. Le sort de Marie-Anne sera celui de toutes les femmes qui se sont dévouées aux passions politiques de l’homme qu’elles aimaient, père, frère ou amant… elle sera injuriée, outragée, calomniée. Qu’importe ! Elle peut poursuivre sa tâche, je souffrirai, mais je ne douterai jamais d’elle et je me tairai. Si nous triomphons, elle sera ma femme, si nous subissons une défaite !…

Un geste compléta sa pensée, disant plus énergiquement que toutes les affirmations, qu’il s’attendait, qu’il se résignait à tout.

M. Lacheneur fut visiblement ébranlé.

— Au moins, laissez-moi le temps de réfléchir, dit-il.

— Il n’y a plus à réfléchir, monsieur.

— Mais vous êtes un enfant, Maurice, mais votre père est mon ami…

— Qu’importe !…