Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/154

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— Malheureux !… Vous ne comprenez donc pas qu’en vous engageant, vous engagez fatalement le baron d’Escorval… Vous croyez ne risquer que votre tête, vous jouez la vie de votre père…

Mais Maurice l’interrompit violemment.

— C’est trop d’hésitations !… s’écria-t-il, c’est assez de remontrances !… Répondez-moi d’un mot !… Seulement, sachez-le bien, si vous me repoussez, je rentre chez mon père, et avec ce fusil que je tiens, je me fais sauter la cervelle…

Ce ne pouvait être une menace vaine. On comprenait à son accent que ce qu’il disait, il le ferait. On le sentait si bien que Marie-Anne s’inclina vers son père, les mains jointes, le regard suppliant.

— Soyez donc des nôtres ! prononça durement M. Lacheneur. Mais n’oubliez jamais la menace qui m’arrache mon consentement. Quoi qu’il arrive à vous ou aux vôtres, rappelez-vous que vous l’aurez voulu !…

Mais ces sinistres paroles ne pouvaient toucher Maurice, il délirait, il était ivre de joie.

— Maintenant, continua M. Lacheneur, il me reste à vous dire mes espérances et à vous apprendre pour quelle cause…

— Eh !… qu’est-ce que cela me fait ! dit insoucieusement Maurice.

Il s’avança vers Marie-Anne, lui prit la main qu’il porta à ses lèvres, et, riant de ce bon rire de la jeunesse, il s’écria :

— Ma cause… la voilà !…

Lacheneur se détourna. Peut-être songeait-il qu’il suffisait d’un mouvement de sa volonté, d’un sacrifice de son orgueil pour assurer le bonheur de ces deux pauvres enfants…

Mais si une pensée de rémission traversa son cerveau, il la repoussa, et c’est de l’air le plus sombre qu’il reprit :

— Encore faut-il, monsieur d’Escorval, arrêter nos conventions…