Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/160

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« Comme la fête est sans façons et que nous serons très-nombreux, vous nous rendrez service en apportant quelques provisions. »

Si Martial eût pu voir quel sourire avait Chanlouineau en le priant de laisser en blanc la date de « la noce, » il eût, à coup sûr, reconnu qu’il venait de tomber dans un piège grossièrement tendu… Mais il était fasciné.

— Ah ça ! marquis, lui disait son père, Chupin prétend que vous ne sortez plus de chez Lacheneur… Quand donc en aurez-vous fini avec cette petite ?

Martial ne répondit pas. Il se sentait à la discrétion de cette « petite. » Près d’elle, il perdait son libre arbitre, et chacun de ses regards le remuait comme une commotion électrique. Elle lui eût demandé de la prendre pour femme, qu’il n’eût pas dit : non…

Mais Marie-Anne n’avait pas cette ambition… Toutes ses pensées, tous ses vœux étaient pour le succès de son père…

Maurice et Marie-Anne devaient être les deux plus intrépides auxiliaires de M. Lacheneur. Ils entrevoyaient après le triomphe une si magnifique récompense !…

N’est-ce pas dire la fiévreuse activité que déploya Maurice !… Toute la journée, il courait les hameaux des environs, et le soir, aussitôt le dîner, il s’esquivait, traversant l’Oiselle dans son bateau, et volait à la Rèche.

M. d’Escorval ne pouvait pas ne pas remarquer à la longue les absences de son fils ; il surveilla et acquit la certitude que Lacheneur l’avait « embauché ; » ce fut son expression.

Saisi d’effroi, il résolut d’aller sur-le-champ, sans prévenir Maurice, trouver son ancien ami, et prévoyant un nouvel échec, il pria l’abbé Midon de l’accompagner.

C’est le 4 mars, vers quatre heures et demie, que M. d’Escorval et le curé de Sairmeuse prirent le chemin des landes de la Rèche. Si tristes ils étaient et si inquiets, qu’ils n’échangèrent pas dix paroles le long de la route.

Un spectacle étrange les attendait à la sortie du bois…