Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/162

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Nommés, l’un commandant des forces militaires, l’autre président de la Cour prévôtale de Montaignac, ils avaient dû quitter leurs châteaux pour s’installer tant bien que mal à la ville.

Le duc de Sairmeuse habitait, sur la place d’Armes, une grande vieille maison toute délabrée, une ruine où, la nuit, la bise qui se glissait par les portes mal closes venait réveiller ses rhumatismes.

Le marquis de Courtomieu s’était établi en camp volant chez un de ses parents, rue de la Citadelle…

Leur vanité sénile était satisfaite… tout était donc pour le mieux.

Et cependant on traversait alors cette période douloureuse de la Restauration, restée dans toutes les mémoires sous le nom de Terreur Blanche.

Les représailles s’exerçaient librement ; les vengeances s’assouvissaient en plein soleil ; et les haines privées et d’effroyables cupidités s’abritaient sous le manteau des rancunes politiques. On menaçait même les acheteurs de biens nationaux…

Si bien que les petits, les humbles du peuple, dans les villes, et les paysans, dans les campagnes, épouvantés et intimidés, tournaient leurs pensées et leurs vœux vers « l’autre, » et il leur semblait que le vaisseau qui portait à Sainte-Hélène le vaincu de Waterloo emportait en même temps leurs dernières espérances.

Mais rien de tout cela ne montait jusqu’au duc de Sairmeuse, jusqu’au marquis de Courtomieu.

Louis XVIII régnait, leurs préjugés triomphaient, ils étaient heureux ; quel faquin eût osé ne l’être pas !

Donc, nulle inquiétude ne troublait leur sereine satisfaction. Au pis aller, n’avaient-ils pas encore des centaines et des milliers d’Alliés sous la main !

Quelques esprits chagrins leur parlèrent de « mécontentements, » ils les traitèrent de visionnaires.

Cependant, ce jour du 4 mars 1816, le duc de Sairmeuse se mettait à table quand un grand bruit se fit dans le vestibule de la maison…