Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y avait six jours que Martial n’avait paru à Courtomieu, et Mlle Blanche était à moitié folle de douleur et de colère.

Ce qu’eut à endurer tante Médie pendant ce temps, ne peut être compris que de ceux qui ont observé dans certaines familles riches de ces pauvres parentes, réduites à tout attendre de la pitié, le vêtement, le pain, le sou même destiné à payer la chaise à l’église.

Durant les trois premiers jours, Mlle Blanche avait pu rester maîtresse de soi ; le quatrième elle n’y tint plus, et malgré l’inconvenance de sa démarche, elle osa envoyer prendre des nouvelles de Martial. Était-il malade, absent ?…

On répondit à son messager que M. le marquis se portait comme un charme, mais que chassant de l’aurore au crépuscule, il se couchait tous les soirs aussitôt souper.

Quelle horrible injure !… Mais du moins elle était persuadée que Martial, prévenu de sa démarche, se hâterait le lendemain d’accourir s’excuser. Illusion vaine de l’orgueil ! Il ne parut pas, il ne daigna pas donner signe de vie.

— Ah ! sans doute il est près de l’autre, disait-elle à tante Médie, il est aux genoux de cette misérable Marie-Anne… sa maîtresse.

Elle disait ainsi, ayant fini par croire — cela arrive — aux calomnies qu’elle même avait inventées.

En cette extrémité, elle se décida à se confier à son père, et elle lui écrivit pour lui annoncer son arrivée.

Laisser voir le déchirement de son âme, l’excès de son amour et de sa jalousie lui paraissait une atroce humiliation, mais ses souffrances étaient intolérables.

Elle voulait que son père contraignît Lacheneur à quitter le pays. Ce devait être un jeu pour lui, revêtu d’une autorité presque discrétionnaire, à une époque où une « attitude tiède » pouvait être un prétexte de proscription.

Le calme qui résulte du parti pris lui était revenu quand elle quitta Courtomieu, et ses espérances débo-