Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/173

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daient en phrases passionnées que la parente pauvre subissait avec son habituelle résignation.

— Enfin !… disait-elle, je serai donc débarrassée de cette coureuse, de cette effrontée !… Nous verrons bien s’il a l’audace de la suivre !… La suivrait-il ?… Oh ! non, il n’oserait !…

Quand la voiture traversa le village de Sairmeuse, Mlle Blanche y remarqua une animation inaccoutumée.

Il y avait encore de la lumière dans toutes les maisons, les cabarets paraissaient pleins de buveurs, on apercevait des groupes animés sur la place, enfin sur le pas des portes, des commères causaient.

Mais qu’importait à Mlle de Courtomieu ! C’est seulement à une lieue de Sairmeuse qu’elle fut tirée de ses préoccupations.

— Écoute, tante Médie ! dit-elle tout à coup. Entends-tu ?…

La parente pauvre prêta l’oreille.

On entendait de lointaines clameurs qui, à chaque tour de roue, devenaient plus distinctes.

— Sachons ce que c’est, fit Mlle Blanche.

Et abaissant une des glaces de la voiture, elle interrogea le cocher.

— Il me semble, répondit cet homme, que je vois, tout au haut de la côte, une grosse troupe de paysans… ils ont des torches…

— Doux Jésus !… interrompit tante Médie épouvantée.

— Ce doit être quelque noce, ajouta le cocher en fouettant ses chevaux.

Ce n’était pas une noce, mais bien la troupe de Lacheneur grossie du contingent de quatre ou cinq communes. La petite colonne s’élevait à 500 hommes environ…

Depuis deux heures déjà, Lacheneur eût dû être à la Croix-d’Arcy.

Mais il lui était arrivé ce qui toujours arrive aux chefs populaires. Le branle donné, il n’avait plus été le maître.