Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/178

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gnée, messieurs, dit-il d’un ton amer… Nous avons une chance de moins, et voilà tout.

— Diable !… Vous avez donc des ressources que nous ignorons ?

— Peut-être… cela dépend. Vous venez de passer à la Croix-d’Arcy, avez-vous dit à quelqu’un quelque chose de ce que vous venez de m’apprendre ?…

— Pas un mot… à personne.

— Combien avons-nous d’hommes au rendez-vous ?

— Au moins deux mille.

— En quelles dispositions ?

— Ils brûlent d’agir… Ils maudissent nos lenteurs. Ils nous ont recommandé de vous supplier de vous hâter.

Lacheneur eut un geste menaçant.

— En ce cas, fit-il, la partie n’est pas perdue. Attendez ici les gens que je précède, et dites-leur simplement que vous êtes envoyés pour les presser. Pressez-les surtout. Et comptez sur moi, je réponds du succès.

Il dit, et enfonçant les éperons dans le ventre de son cheval, il reprit sa course.

Il venait de tromper ces deux hommes. De ressources, il n’en avait aucune, il ne conservait pas même la plus chétive espérance. C’était un abominable mensonge, mais il avait, en quelque sorte, perdu son libre arbitre. L’édifice si laborieusement élevé s’écroulait, il voulait être enseveli sous les ruines. On devait être vaincu, il en était sûr, n’importe, on se battrait, il chercherait la mort et il la trouverait… Et il pensait :

— Pourvu qu’on ne se lasse pas, là-bas !…

Là-bas, à la Croix-d’Arcy, on l’accusait…

Après le passage des deux officiers à demi-solde, les murmures s’étaient changés en imprécations.

Ces deux mille paysans, arrivés successivement au rendez-vous, s’indignaient de ne pas voir leur chef, celui qui était venu les débaucher à la charrue pour en faire les soldats de ses rancunes.

— Où est-il ? se disaient-ils. Qui sait s’il n’a pas eu