Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/185

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il d’une voix sourde, votre vie appartient à la femme qui s’est donnée à vous.

— Malheureux !… qu’osez-vous dire !…

Chanlouineau hocha tristement la tête.

— À quoi bon nier ?… fit-il. Ce qui est arrivé devait arriver… Il est de ces tentations si grandes, qu’un ange n’y résisterait pas… Ce n’est ni votre faute, ni la sienne… Lacheneur a été un mauvais père. Il y a eu un jour… quand j’ai été sûr… où je voulais me tuer ou vous tuer, je ne savais lequel… Allez, vous n’aurez plus jamais la mort si près de vous qu’une fois… Je vous ai tenu au bout de mon fusil à cinq pas… C’est le bon Dieu qui a arrêté ma main, en me montrant son désespoir… Maintenant que je vais mourir ainsi que Lacheneur, il faut bien que quelqu’un reste à Marie-Anne… Jurez-moi que vous l’épouserez… On vous inquiétera peut-être pour l’affaire de cette nuit, mais j’ai ici de quoi vous sauver…

Un feu de peleton l’interrompit, les soldats du duc de Sairmeuse arrivaient…

— Saint bon Dieu !… s’écria Chanlouineau, et Marie-Anne !

Ils s’élancèrent, et Maurice le premier l’aperçut, debout au milieu du carrefour, appuyée sur le cou du cheval de son père. Il lui prit le bras en cherchant à l’entraîner :

— Venez, lui dit-il, venez !

Mais elle résista.

— De grâce, fit-elle, laissez-moi…

— Mais tout est perdu, mon amie !

— Oui, tout, je le sais… même l’honneur… Et c’est pour cela qu’il faut que je reste et que je meure, il le faut, je le veux…

Elle se pencha vers Maurice, et d’une voix à peine intelligible, elle ajouta :

— Il le faut, pour que le déshonneur ne devienne pas public…

La fusillade était d’une violence extraordinaire, ils