Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/186

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restaient debout à l’endroit le plus périlleux, ils allaient certainement être atteints, quand Chanlouineau reparut.

Avait-il deviné le secret des résistances de Marie-Anne ? Peut-être. Toujours est-il que, sans mot dire, il l’enleva comme un enfant entre ses bras robustes, et la porta jusqu’à la voiture que gardait l’abbé

Midon.

— Montez, monsieur le curé, commanda-t-il, et retenez Mlle Lacheneur, bien !… merci. Maintenant, monsieur Maurice, à votre tour.

Mais déjà les soldats de M. de Sairmeuse étaient maîtres du carrefour. Apercevant un groupe, dans l’ombre, ils accoururent.

Alors, l’héroïque paysan saisit son fusil par le canon, et le manœuvrant comme une massue, il tint l’ennemi en échec et donna à Maurice le temps de s’élancer près de Marie-Anne, de prendre les guides et de fouetter le cheval qui partit au galop.

Ce que cette lamentable nuit cacha de lâchetés ou d’héroïsmes, d’inutiles cruautés ou de magnifiques dévouements, on ne l’a jamais su au juste…

Deux minutes après le départ de Marie-Anne et de Maurice, Chanlouineau luttait encore, barrant obstinément la route.

Il avait en face de lui une douzaine de soldats au moins… n’importe. Vingt coups de fusil lui avaient été tirés, pas une balle ne l’avait touché ; on l’eût dit invulnérable.

— Rends-toi !… lui criaient les soldats, émus de tant de bravoure, rends-toi !…

— Jamais ! jamais !…

Il était effrayant, il trouvait au service de son courage une vigueur et une agilité surhumaines. Malheur à qui se trouvait à portée de ses terribles moulinets.

C’est alors qu’un soldat, confiant son arme à un camarade, se jeta à plat ventre et rampant dans l’ombre alla saisir aux jambes, par derrière, ce héros obscur.

Il chancela comme un chêne sous la hache, se débat-