Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/193

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Donc, si son mari avait organisé une conspiration, c’était bien. S’il s’était aventuré, c’est qu’il espérait réussir. Donc, elle était sûre du succès.

Impatiente cependant de connaître les résultats, elle expédia le jardinier à Sairmeuse, avec ordre de s’informer adroitement et d’accourir dès qu’il aurait recueilli quelque chose de positif.

Il revint sur le coup de deux heures, blême, effaré, tout en larmes.

Le désastre était déjà connu et on le lui avait raconté avec les plus épouvantables exagérations. On lui avait dit que des centaines et des milliers d’hommes avaient été tués et que toute une armée se répandait dans la campagne, massacrant tout…

Pendant qu’il parlait, Mme d’Escorval se sentait devenir folle.

Elle voyait, oui, positivement elle voyait son fils et son mari morts… pis encore : mortellement blessés et agonisant sur le grand chemin… ils étaient étendus sur le dos, les bras en croix, livides, sanglants, les yeux démesurément ouverts, râlant, demandant de l’eau… une goutte d’eau…

— Je veux les voir !… s’écria-t-elle avec l’accent du plus affreux égarement… J’irai sur le champ de bataille, et je chercherai parmi les morts, jusqu’à ce que je les trouve… Allumez des torches, mes amis, et venez avec moi… car vous m’aiderez, n’est-ce pas ?… Vous les aimiez, eux si bons !… Vous ne voudriez pas laisser leurs corps sans sépulture !… Oh ! les misérables !… les misérables, qui me les ont tués…

Les domestiques s’étaient empressés d’obéir, quand retentit sur la route le galop saccadé et convulsif d’un cheval surmené, et le roulement d’une voiture.

— Les voilà !… s’écria le jardinier, les voilà !…

Mme d’Escorval, suivie de ses gens, se précipita dehors juste assez à temps pour voir un cabriolet entrer dans la cour, et le cheval fourbu, rendu, épuisé, manquer des quatre fers et s’abattre.