Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/192

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Sa surprise devint inquiétude quand on lui apprit que son mari venait de partir avec l’abbé Midon. Ils avaient attelé eux-mêmes, précipitamment, sans mot dire, et au lieu de faire sortir la voiture par la cour, comme d’habitude, ils avaient passé par la porte de derrière de la remise qui donnait sur le chemin.

Qu’est-ce que cela voulait dire ?… Pourquoi ces étranges précautions ?…

Mme d’Escorval attendit, toute frissonnante de pressentiments inexpliqués !…

Les domestiques partageaient ses transes. Juste et d’un caractère toujours égal, le baron était adoré de ses gens ; tous se fussent mis au feu pour lui.

Aussi, vers dix heures, s’empressèrent-ils de conduire à leur maîtresse un paysan qui revenait de Sairmeuse et qui semait partout la nouvelle du mouvement.

Cet homme, qui était un peu en ribote, racontait des choses étranges.

Il assurait que toute la campagne, à dix lieues à la ronde, avait pris les armes, et que M. le baron d’Escorval était à la tête du soulèvement.

Lui-même se fût joint volontiers aux conjurés, s’il n’eût eu une vache près de vêler…

Il ne doutait pas du succès, affirmant que Napoléon II, Marie-Louise et tous les maréchaux de l’Empire étaient cachés à Montaignac…

Hélas ! il faut bien l’avouer, Lacheneur ne reculait pas devant des mensonges plus grossiers encore, dès qu’il s’agissait de gagner des complices à sa cause.

Mme d’Escorval ne devait pas s’arrêter à ces fables ridicules, mais elle put croire, elle crut que le baron était en effet le chef de ce vaste complot.

Ce qui eût absolument consterné tant de femmes à sa place, la rassurait.

Elle avait en son mari une foi entière, absolue, indiscutée. Elle le voyait bien supérieur à tous les autres hommes, impeccable, infaillible pour ainsi dire. Du moment où il disait « cela est, » elle croyait.