Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/195

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se sauvent lâchement… Dieu ait pitié de moi !… mon mari est mort !

Si perspicace que fût l’abbé, il ne pouvait comprendre, il pensa que la douleur égarait la raison de cette femme si éprouvée…

— Eh ! madame ! s’écria-t-il, M. le baron n’était pour rien dans ce mouvement, bien loin de là…

Il s’arrêta ; ceci se passait dans une cour fermée seulement par une grille, à la lueur des flambeaux allumés par les gens ; de la route on pouvait voir… il comprit l’imprudence.

— Venez, madame, fit-il en entraînant la baronne vers la maison, et vous aussi, Maurice, venez !…

C’est avec la docilité passive et muette des grandes douleurs que Mme d’Escorval suivit le curé de Sairmeuse…

Son corps seul agissait, machinalement ; son âme et sa pensée s’envolaient à travers les espaces, vers l’homme qui avait été tout pour elle et dont l’âme et la pensée, sans doute, l’appelaient du fond de l’abîme où il avait roulé…

Mais quand elle eût passé le seuil du salon, elle tressaillit et quitta le bras du prêtre, brusquement ramenée au sentiment de la réalité présente…

Elle venait d’apercevoir Marie-Anne sur le canapé où les domestiques l’avaient déposée.

Mlle Lacheneur !… balbutia-t-elle, ici, sous ce costume… morte !…

On devait la croire morte, en effet, la pauvre enfant, à la voir ainsi roide et glacée, livide, comme si on lui eût tiré des veines la dernière goutte de sang. Son visage si beau avait l’immobilité du marbre, ses lèvres blanches s’entr’ouvraient sur ses dents convulsivement serrées et un large cercle, d’un bleu intense, cernait ses paupières fermées.

Ses longs cheveux noirs, qu’elle avait roulés pour les glisser sous son chapeau de paysan, s’étaient détachés, ils s’éparpillaient opulents et splendides sur ses épaules et traînaient jusqu’à terre…