Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/225

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Mais la commission militaire ne devait point agir ainsi.

Ces hommes, qui siégeaient en grand uniforme, n’étaient pas des juges chargés d’appliquer une loi cruelle, mais enfin une loi !… C’étaient des instruments commis par les vainqueurs pour frapper les vaincus au nom de ce code sauvage que deux mots résument : vae victis !…

Le président, le noble duc de Sairmeuse, n’eût consenti à aucun prix à mander Martial. Les officiers, ses conseillers, ne le voulaient pas davantage.

Chanlouineau avait-il prévu cela ?… On est autorisé à le supposer. Eût-il, sans une sorte d’intuition des faits, risqué un coup si hasardeux !…

Quoi qu’il en soit, le tribunal, après une courte délibération, décida qu’on ne prendrait pas en considération cet incident qui avait remué l’auditoire et stupéfié Maurice et l’abbé Midon.

L’interrogatoire se poursuivit donc avec une âpreté nouvelle.

— Au lieu de désigner des chefs imaginaires, reprit le duc de Sairmeuse, vous eussiez mieux fait de nommer le véritable instigateur du mouvement, qui n’est pas Lacheneur, mais bien un individu assis à l’autre extrémité de ce banc où vous êtes, le sieur Escorval.

— M. le baron d’Escorval ignorait absolument le complot, je le jure sur tout ce qu’il y a de plus sacré, et même…

— Taisez-vous !… interrompit le capitaine rapporteur, songez, plutôt que d’abuser la commission par des fables ridicules, songez à mériter son indulgence !…

Chanlouineau eut un geste et un regard empreints d’un tel dédain, que son interrupteur en fut décontenancé.

— Je ne veux pas d’indulgence, prononça-t-il… J’ai joué, j’ai perdu, voici ma tête… payez-vous… Mais si vous n’êtes pas plus cruels que les bêtes féroces, vous aurez pitié de ces malheureux qui m’entourent… J’en aperçois dix, pour le moins, parmi eux, qui jamais n’ont