Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/224

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Le duc de Sairmeuse était plus cramoisi qu’un homme frappé d’un coup de sang, et la fureur lui enlevait presque l’usage de la parole.

— Tu ments, coquin, bégayait-il, tu ments !

— Qu’on fasse venir le marquis, dit tranquillement Chanlouineau, on verra bien s’il est ou non blessé.

Il est sûr que l’attitude du duc eût donné à penser à un observateur. C’est qu’il doutait en ce moment, plus encore que la veille en apercevant la blessure de Martial. On l’avait cachée, il était impossible de l’avouer maintenant.

Heureusement pour M. de Sairmeuse, un des juges le tira d’embarras.

— J’espère, monsieur le président, dit-il, que vous ne donnerez pas satisfaction à cet arrogant rebelle, la commission s’y opposerait…

Chanlouineau éclata de rire.

— Naturellement, fit-il… Demain j’aurai le cou coupé, une blessure est vite cicatrisée, rien ne restera donc de la preuve que je dis. J’en ai une autre par bonheur, matérielle, indestructible, hors de votre puissance, et qui parlera quand mon corps sera à six pieds sous terre.

— Quelle est cette preuve ? demanda un autre juge, que le duc regarda de travers.

L’accusé hocha la tête.

— Je ne vous la donnerais pas, répondit-il, quand vous m’offririez ma vie en échange… Elle est entre des mains sûres qui la feront valoir… On ira au roi, s’il le faut… Nous voulons savoir le rôle du marquis de Sairmeuse en cette affaire… s’il était vraiment des nôtres ou s’il n’était qu’un agent provocateur.

Un tribunal soucieux des règles immuables de la justice, ou simplement préoccupé de son honneur, eût exigé, en vertu de ses pouvoirs discrétionnaires, la comparution immédiate du marquis de Sairmeuse.

Et alors, tout s’éclaircissait, la vérité se dégageait des ténèbres, l’étonnante calomnie de Chanlouineau se trouvait confondue.