Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/24

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Les forces semblaient lui revenir. Elle se souleva sur son lit, et, me tendant la croix de son chapelet :

— Jure sur l’image de notre Sauveur, me dit-elle, jure que tu exécuteras fidèlement les dernières volontés de ta marraine mourante.

Je jurai, et son visage exprima une grande joie.

— C’est bien, reprit-elle ; je mourrai tranquille… tu auras une protectrice là-haut. Mais ce n’est pas tout… Dans le temps où nous vivons, cet or ne sera en sûreté entre tes mains que si on ignore que tu le possèdes… J’ai cherché comment tu le sortirais de ma chambre et du château, à l’insu de tous, et j’ai trouvé un moyen. L’or est là, dans cette armoire, à la tête de mon lit, entassé dans un coffre de chêne… Il faut que tu aies la force de porter ce coffre… il le faut. Tu vas l’attacher à un drap et le descendre bien doucement, par la fenêtre, dans le jardin… Tu sortiras ensuite d’ici, comme tu y es entré, et une fois dehors, tu iras prendre le coffre et tu le porteras chez toi… La nuit est noire ; on ne te verra pas si tu sais prendre tes précautions… Mais hâte-toi, je suis à bout de forces…

Le coffre était lourd, mais j’étais robuste. Deux draps que je pris dans un bahut firent l’affaire.

En moins de dix minutes, j’eus terminé, sans embarras, sans un seul bruit capable de nous trahir. Pendant que je refermais la fenêtre :

— C’est fini, marraine, dis-je.

— Dieu soit loué !… balbutia-t-elle, Sairmeuse est sauvé !…

J’entendis un profond soupir, je me retournai… elle était morte.

Cette scène que retraçait M. Lacheneur, il la voyait…

Ses plus futiles circonstances jaillissaient des cendres du passé comme les flammes d’un incendie mal éteint.

Feindre, déguiser la vérité, ménager des réticences, était hors de son pouvoir.

Il ne s’appartenait plus.