Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/25

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Ce n’est pas à sa fille qu’il s’adressait, mais à la morte, à Mlle  Armande de Sairmeuse…

Et s’il frissonna en prononçant ces mots : « elle était morte, » c’est qu’il lui semblait qu’elle allait apparaître et lui demander compte de son serment.

Après un moment de silence pénible, c’est d’une voix sourde qu’il poursuivit :

— J’appelai au secours… on vint. Mlle  Armande était adorée, les larmes éclatèrent, et il y eut une demi-heure d’inexprimable confusion. Tout le monde perdait la tête excepté moi… Je pus me retirer sans être remarqué, courir au jardin et enlever le coffre de chêne… Une heure plus tard, il était enterré dans la misérable masure que j’habitais… L’année suivante, j’achetai Sairmeuse…

Il avait tout avoué, il s’arrêta tremblant, cherchant son arrêt dans les yeux de sa fille.

— Et vous hésitez ?… demanda-t-elle.

— Ah !… tu ne sais pas…

— Je sais qu’il faut rendre Sairmeuse.

C’était bien là ce que lui criait la voix de sa conscience, cette voix qui n’est qu’un murmure et que cependant tout le fracas de l’univers ne saurait étouffer.

— Personne ne m’a vu emporter le coffre, balbutia-t-il. On me soupçonnerait qu’on ne trouverait pas une seule preuve… Mais personne ne sait rien…

Marie-Anne se redressa, l’œil étincelant de la plus généreuse indignation.

— Mon père !… interrompit-elle, oh !… mon père !…

Et d’un ton plus calme elle ajouta :

— Si le monde ne sait rien, pouvez-vous donc oublier, vous !…

M. Lacheneur semblait près de succomber aux souffrances des horribles combats qui se livraient en lui.

Moins abattu est l’accusé à l’heure où se décide son sort, pendant ces minutes éternelles où il attend un verdict de vie ou de mort, l’œil fixé sur cette petite porte par où il a vu le jury sortir pour délibérer.