Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/247

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— M. de Courtomieu m’a promis qu’on nous laisserait seuls ! s’écria Chanlouineau.

— Aussi, je décampe, répondit le vieux soldat… Mais j’ai l’ordre de revenir chercher Mademoiselle dans une demi-heure.

La porte refermée, Chanlouineau prit la main de Marie-Anne, et avec une violence contenue, il l’attira tout près de la fenêtre, à l’endroit où l’abat-jour dispensait le plus de lumière.

— Merci d’être venue, disait-il, merci !… Je vous revois et il m’est permis de parler… À présent que je suis un mourant dont les minutes sont comptées, je puis laisser monter à mes lèvres le secret de mon âme et de ma vie… Maintenant, j’oserai vous dire de quel ardent amour je vous ai aimée, je vous dirai combien je vous aime…

Instinctivement Marie-Anne dégagea sa main, et se rejeta en arrière.

L’explosion de cette passion, en ce moment, en ce lieu, avait quelque chose de lamentable et d’effrayant tout ensemble.

— Vous ai-je donc offensée ?… fit tristement Chanlouineau. Pardonnez à qui va mourir !… Vous ne sauriez refuser d’entendre ma voix qui demain sera éteinte pour toujours et qui si longtemps s’est tue !…

C’est qu’il y a bien longtemps que je vous aime, Marie-Anne, il y a plus de six ans !… Avant de vous avoir vue, je n’avais aimé que la terre… Engranger de belles récoltes et amasser de l’argent me paraissait, ici-bas, le plus sublime bonheur.

Pourquoi vous ai-je rencontrée !… Mais j’étais si loin de vous, en ce temps, vous étiez si haut et moi si bas, que mon espoir ne montait pas jusqu’à vous. J’allais à l’église le dimanche ; tant que durait la messe, je vous regardais, tout en extase, comme les paysannes devant la bonne Vierge ; je rentrais chez moi les yeux et le cœur pleins de vous… et c’était tout.

C’est le malheur qui nous a rapprochés et c’est votre