Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/246

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qu’il avait été dupe d’une habile et audacieuse comédie.

Cet héroïque paysan, qui ne devait pas voir se coucher le soleil du lendemain, était comme transfiguré par la joie qu’il ressentait du succès de sa ruse.

Jusqu’à ce moment, il avait pu craindre une de ces circonstances futiles qui, pareilles au grain de sable brisant une machine parfaite, disloquent les plans les mieux connus.

Maintenant la fortune, évidemment, se déclarait pour lui, il venait d’en avoir la preuve.

Ce soldat, qu’on avait mis à sa disposition, ne s’était-il pas trouvé un de ces vieux, comme à cette époque on en comptait tant, qui portaient à leur shako la cocarde blanche de la Restauration, mais qui gardaient dans leur poche la cocarde aux trois couleurs et au fond de leur cœur le souvenir de « l’autre. »

Il avait donc pu se confier relativement à ce soldat, et il ne doutait pas qu’il ne lui ramenât Marie-Anne.

Non, il n’en doutait pas. Nul ne l’avait informé de ce qui s’était passé à Escorval, mais il le devinait, éclairé par cette merveilleuse prescience qui précède les ténèbres éternelles.

Il était certain que Mme d’Escorval était à Montaignac, il était sûr que Marie-Anne y était avec elle, il savait qu’elle viendrait…

Et il attendait, comptant les secondes aux palpitations de son cœur.

Il attendait ; s’expliquant toutes les rumeurs du dehors, recueillant avec l’étonnante acuité des sens surexcités par la passion, des bruits qui eussent été insaisissables pour un autre…

Enfin, tout à l’extrémité du corridor, il entendit le frôlement d’une robe contre les murs.

— Elle !… murmura-t-il.

Des pas se rapprochaient, les lourds verrous grincèrent, la porte s’ouvrit et Marie-Anne entra, soutenue par l’honnête caporal Bavois.