Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/250

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double sur l’épaule, un sabre passé dans ma ceinture. Je n’ai pas le droit de me plaindre. Mais les juges ineptes ou iniques ont frappé un innocent…

— Le baron d’Escorval.

— Oui, le père de… Maurice…

Sa voix s’altéra en prononçant le nom de cet autre, dont il eût payé le bonheur du prix de dix existences, s’il les eût eues.

— Je veux le sauver, ajouta-t-il, je le puis.

— Oh ! si vous disiez vrai !… Mais vous vous abusez, sans doute.

— Je sais ce que je dis.

Il tremblait d’être épié et entendu du dehors, il se rapprocha encore de Marie-Anne, et d’une voix rapide :

— Je n’ai jamais cru au succès de la conspiration, reprit-il… Quand je me demandais où trouver une arme en cas de malheur, le marquis de Sairmeuse me l’a fournie… Il s’agissait d’adresser à nos complices une lettre qui fixât le jour du soulèvement ; j’eus l’idée de prier M. Martial d’en écrire le modèle… Il était sans défiances ; je lui disais que c’était pour une noce ; il fit ce que je lui demandais. Et le papier que je tiens est le brouillon de la circulaire qui a décidé le mouvement, écrit de la main du marquis de Sairmeuse… Et impossible de nier, il y a une rature à chaque ligue ; on croirait reconnaître le manuscrit d’un homme qui a cherché et trié ses expressions pour bien rendre sa pensée…

Chanlouineau ouvrit l’enveloppe et montra, en effet, la fameuse lettre qu’il avait dictée, et où la date du soulèvement était restée en blanc :

« Mon cher ami, nous sommes enfin d’accord et le mariage est décidé, etc… »

La flamme qui s’était allumée dans l’œil de Marie-Anne s’éteignit.

— Et vous croyez, fit-elle d’un ton découragé, que cette lettre peut servir à quelque chose ?…