Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/251

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— Je ne crois pas, je suis sûr.

— Cependant…

D’un geste il l’interrompit :

— Ne discutons pas, fit-il vivement, — écoutez-moi plutôt. Arrivant seul, ce brouillon serait sans importance… mais j’ai préparé l’effet qu’il produira. J’ai déclaré devant la commission militaire que le marquis de Sairmeuse était un des chefs du complot… On a ri et j’ai lu l’incrédulité sur la figure de tous les juges… Mais une bonne calomnie n’est jamais perdue… Vienne pour le duc de Sairmeuse l’heure des récompenses, il lui sortira de terre des ennemis qui se souviendront de mes paroles… Il a si bien senti cela que pendant que les autres riaient il était bouleversé…

— Calomnier ses ennemis est un crime, murmura l’honnête Marie-Anne.

— Oui, mais je voulais sauver mes amis, et je n’avais pas le choix des moyens. Mon assurance était d’autant plus grande, que je savais Martial blessé… J’ai affirmé qu’il s’était battu à mes côtés contre la troupe, j’ai demandé qu’on le fit comparaître, j’ai annoncé des preuves irrécusables de sa complicité…

— Le marquis de Sairmeuse s’est donc battu ?…

Le plus vif étonnement se peignit sur la physionomie de Chanlouineau.

— Quoi !… commença-t-il, vous ne savez pas…

Mais se ravisant :

— Bête que je suis !… reprit-il, qui donc eût pu vous conter ce qui s’est passé !… Vous rappelez-vous ce que nous avons fait sur la route de Sairmeuse, à la Croix-d’Arcy, après que votre père nous a eu quittés pour courir en avant ?… Maurice s’est mis à la tête de la colonne et vous avez marché près de lui ; votre frère Jean et moi sommes restés en arrière pour pousser et ramasser les traînards.

Nous faisions notre besogne en conscience, quand tout à coup nous entendons le galop d’un cheval.

« — Il faut savoir qui vient, me dit Jean. »