Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/274

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— Du courage donc !… lui dit-il, indigné de cet accès de lâcheté.

— Ah !… c’est facile à dire !… geignit le robuste gars.

Et personne ne l’observant, il se pencha vers le baron, et tout bas, d’une voix brève :

— C’est pour vous que je travaille, fit-il, rassemblez vos forces pour cette nuit.

Le regard flamboyant de Chanlouineau surprit M. d’Escorval, mais il attribua ses paroles au délire de la peur.

Ramené à sa chambre, il se jeta sur sa maigre couchette, et il eut cette vision terrible et sublime de la dernière heure qui est l’espérance ou le désespoir de qui va mourir…

Il savait quelles lois terribles régissent les tribunaux d’exception… Le lendemain, dans quelques heures, au point du jour, peut-être, on viendrait, on le tirerait de sa prison, on le conduirait devant un peloton de soldats, un officier lèverait son épée… et tout serait fini, il tomberait sous les balles…

Alors, que deviendraient sa femme et son fils ?…

Ah ! son cœur se brisait en songeant à ces êtres chers et adorés !… Il était seul, il pleura…

Mais, soudain, il se dressa, épouvanté de son attendrissement… Si son âme allait s’amollir à ces désolantes pensées !… s’il allait être trahi par son énergie !… Manquerait-il de courage, tout à coup !… Le verrait-on donc, lui, pâlir et défaillir devant le peloton d’exécution !…

Il voulut secouer cette torpeur douloureuse qui l’envahissait, et il se mit à marcher dans sa prison, s’efforçant d’occuper son esprit aux choses extérieures…

La chambre qu’on lui avait donnée était très-vaste, carrelée et extrêmement haute d’étage. Jadis elle communiquait avec la pièce voisine, mais la porte de communication avait été murée depuis longtemps, même le ciment qui reliait entre elles les pierres larges et peu épaisses était tombé, et il en résultait des jours par où on pouvait, avec un peu d’application, voir d’une pièce dans l’autre.